Claire Khecha, vous avez rédigé un article sur la Reconnaissance et la validation des acquis dans la dernière édition du Traité des sciences et techniques de la formation parue en mars 2024.
Quels sont les facteurs qui ont contribué à développer la place de la VAE en France depuis 2002 ?
Plusieurs leviers me viennent à l’esprit :
Le premier, ce sont des personnes, comme Vincent Merle, directeur du cabinet de Nicole Péry au secrétariat d’état à la formation professionnelle en 1998 qui ont œuvré pour impulser la VAE.
Ensuite, le vote de la loi de 2002. Auparavant, nous n’avions que la validation des acquis professionnels (la VAP) qui ne donnait d’ailleurs pas accès à une certification.
Par la suite, les prérequis de l’expérience ont évolué. Le bénévolat a été reconnu comme une activité source de compétences. Et pour moi la vraie évolution, c’est lorsque nous sommes passés de 3 années à 1 année d’expérience exigée pour candidater, c’est ce qui permet à la VAE inversée de voir le jour. C’est une véritable évolution du système de formation et d’éducation.
Par ailleurs, avec la VAE inversée, c’est comme si on “lâchait” du savoir académique à l’entreprise. On a accepté l’idée que l’entreprise pouvait être formatrice. Et, dès lors qu’on avait développé l’AFEST, il n’était pas raisonnable de ne pas réformer la VAE et en faire un vrai canal d’accès à la certification.
Enfin, aujourd’hui, on travaille en moyenne 40 ans en exerçant à peu près 4 métiers différents. On ne peut pas se permettre de s’arrêter à chaque transition professionnelle pour suivre une formation certifiante. Notre rapport au travail, aux études et aux certifications a changé. Bien avant le covid, il avait déjà explosé et la VAE devait donc également évoluer.
Vous dites dans votre article que « la VAE reste encore trop une affaire de militants » malgré les lois qui l’officialisent et l’encouragent, qu’entendez-vous par là ?
La VAE s’adapte mais avec un temps de retard, quand on regarde les autres pays européens, certains ont avancé plus vite que nous.
Beaucoup d’entreprises françaises publient encore des annonces de recrutement en précisant “profil recherché : bac+5”. Ce qui m’interpelle pour des profils expérimentés : pourquoi ce n’est pas l’expérience qui est valorisée ? Pourquoi ne pas mentionner “profil atypique bienvenu” ?
En tant qu’employeur j’ai bien sur le droit d’annoncer un niveau a priori mais au fond, ce n’est pas important, ce qui compte c’est le contexte dans lequel le candidat travaille, évalue les compétences qu’il met en œuvre, l’expérience de la complexité qu’il est capable d’appréhender, etc… peu importe s’il a fait des études ou pas. Par ailleurs, un autre frein constaté c’est la difficulté à faire accepter que la valeur d’un diplôme soit identique, sans avoir été à l’école ou à l’université. La formation professionnelle freinait également tout autant que l’Education Nationale au début pour les mêmes raisons.
Pour France Travail, il y a quelques années, un parcours de VAE était plus compliqué à proposer et à mettre en œuvre qu’un simple parcours de formation.
Carole GrandJean voulait changer d’échelle pour décoincer le système et passer grossièrement de 20 000 à 200 000 VAE, ce changement d’échelle pose également la nécessité de jurys disponibles.
Pour toutes ces raisons, c’est une véritable volonté politique qu’il faut pour être en mesure de régler tous ces sujets en même temps. Il faut une réforme systémique, en une fois. Si on veut le faire bout par bout avec des ajustements à la marge, on va mettre 20 ans et prendre du retard.
Dans ce contexte, et je le regrette, il faut être convaincu et faire preuve de militantisme pour réussir une réforme culturelle autour de la VAE, qui entrainerait autant les entreprises que l’ensemble des autres acteurs concernés.
C’est cette démarche globale qu’a porté Carolle Grandjean en 2023.
Vous expliquez aussi que moins de 1% des chercheurs d’emploi mobilisent la VAE alors que 50% d’entre eux ne possèdent aucune certification déclarée. Le nouveau Réseau pour l’emploi, institué par la loi pour le plein emploi du 18 déc. 2023, peut-il devenir un terreau plus fertile pour la VAE ?
Oui, l’enjeu est fort aussi pour les demandeurs d’emploi. Comment les faire entrer dans une dynamique de certification, même partielle, et de formation complémentaire ?
En d’autres termes, pour que les gens pensent à la VAE, faut-il encore les informer sur ce que c’est et à quoi ça sert. Il faut former les conseillers de France Travail sur le sujet. Oui, France Travail doit aussi être un levier pour développer la VAE, particulièrement dans le cadre de la « VAE inversée ».
La mutation du marché des certifications qui aboutit progressivement à une fragmentation des certifications par la création de blocs de compétences ou de micro-certifications peut-elle devenir un terreau plus favorable à la VAE et à quelles conditions, notamment pour servir la mobilité des salariés ?
Premièrement, le découpage par blocs de compétences permet aux candidats à la VAE de porter une certification partielle et d’aller progressivement vers la certification intégrale.
Deuxièmement, les micro-certifications de l’Europe sont très fines. La VAE gagnera le jour où le diplôme aura la même valeur, qu’il ait été obtenu en formation ou par l’expérience ou encore avec une expérience associée à une formation complémentaire. Donc, si le découpage permet d’adapter le parcours, quitte à ce qu’il soit discontinu, ça ne me choque pas. Il ne faut pas que ce soit une façon d’avoir des certifications au rabais. Un bloc, c’est un bloc d’autant qu’une certification a une valeur sur le marché du travail, au sein de la branche professionnelle et peut donner lieu à une suite de parcours.
Gardons à l’esprit que pour la plupart des personnes, c’est le premier diplôme qu’elles obtiennent, une première reconnaissance de leurs compétences.
Nous avons vu que le gouvernement, qui s’était pourtant engagé avec la loi « Marché du travail » du 21 déc. 2022 à créer un service public de la VAE et un financement unique, avait fait machine arrière à l’été 2024. Que s’est-il passé ?
Effectivement, début juin 2024, la plateforme France VAE n’a plus été accessible du jour au lendemain.
La réforme a été difficile à mener, je tiens donc à saluer l’énergie de Carole Grandjean, sur ce sujet. Sauf que le financement n’a pas suivi. Dit autrement, cette réforme embarquait un financement spécifique pour impulser et soutenir des expérimentations dans les branches professionnelles, qui n’a pas été suffisamment sécurisé lors du départ de la Ministre.
On dénombre plus de 40 000 candidatures sur le portail depuis son ouverture en juillet 2023 ce qui est vraiment le signe d’une forte attente. Le Haut-Commissaire s’est fortement mobilisé pour trouver les fonds publics nécessaires, mais il a dû en limiter le périmètre à 26 certifications qui correspondaient au métier du Care. Je regrette toutefois cette restriction.
Ces restrictions du nombre de certifications éligibles, ainsi que la fermeture / réouverture de la plateforme ont créé une cacophonie très regrettable …
Pour demain, ce qui se dessine, c’est de réintégrer la VAE dans les tuyaux du CPF. Plus la VAE sera un mode d’accès à la certification comme un autre, plus la VAE sera financée par les modalités « classiques » de la formation, plus elle sera sécurisée et pourra se déployer progressivement dans tous les secteurs économiques. Je fais le rêve qu’on ne se pose plus de questions dans 20 ans.
Attention, la réforme n’a pas résolu la difficulté à trouver des jurys. Il faut pouvoir les financer et il n’y en a jamais assez.
Sans compter qu’aujourd’hui, il faut rémunérer les organismes et architectes accompagnateurs qui n’ont pas été payés pour leur travail depuis le mois de janvier. Le CPF aurait au moins l’avantage de permettre le versement d’acomptes à ces prestataires, pour un règlement progressif des prestations réalisées.
Quel bilan intermédiaire peut-on faire de la VAE inversée ?
En lançant la réforme, Carole Grandjean avait eu l’accord d’un certain nombre de branches, notamment l’industrie mais pas seulement, pour pouvoir développer ce qu’on appelle la VAE inversée. Une personne qui choisit d’entrer sur le marché du travail développe des compétences et la VAE inversée lui permet de les valider par la suite, au fur et à mesure, pour obtenir une certification.
On observe aujourd’hui un rapport différent au travail. Beaucoup de jeunes préfèrent commencer à travailler plus tôt dans leurs parcours, parce que certains sont en rupture avec l’université, etc. Puisqu’ils font l’acquisition de nouvelles compétences, il faut pouvoir les valider également. La VAE inversée convient aussi bien aux nouvelles visions du travail des jeunes ou des moins jeunes qu’aux entreprises qui peinent à recruter dans certains secteurs. Et si besoin, un complément de formation pourra être proposé. Les recrutements sans expérience se sont toujours faits mais la nouveauté c’est la certification au bout. L’idée est de faire entrer l’ensemble des actifs dans une dynamique certifiante qui a la valeur de traduire, de tracer, de rendre lisible tout ce qu’ils ont acquis par l’expérience. Tout le monde a entendu parler de la formation tout au long de la vie. Aujourd’hui, nous sommes engagés dans des transitions tout au long de la vie et la VAE peut accompagner toutes les transitions réalisées dans le monde professionnel.
CONCLUSION
Les résultats des expérimentations REVA ont montré que ça marche. A présent, il faut arrêter d’expérimenter et passer à grande échelle et pour cela il faut sécuriser sur le financement des parcours.
Je suis une acharnée de la VAE parce que je trouve que c’est la voie hybride par excellence. J’ai tendance à dire que l’apprentissage, c’est la couture entre la formation initiale et la formation professionnelle. La VAE, c’est comme un lien continu entre les certifications et le monde professionnel. »
Propos de Claire Khecha, Déléguée générale Les Acteurs de la Compétence recueillis le 20 septembre 2024 par Samia Chementel, consultante experte Paradoxes